Changer son activité : quel impact sur le bail commercial ?

Dernière révision : Dernière révision :11 juin 2019

Les activités exploitées dans un local à usage commercial sont en principe limitées par la clause de destination prévue dans le contrat de bail commercial. Sauf lorsque cette clause est spécifiée "tous commerces", le locataire ne peut donc modifier son activité sans procéder avec l'accord de son propriétaire à la déspécialisation du bail. La déspécialisation partielle (ou restreinte) concerne les locataires qui souhaitent ajouter une activité connexe ou complémentaire à l'activité déjà exploitée dans leur fonds. La déspécialisation plénière concerne les locataires qui souhaitent exploiter une activité nouvelle et sans lien avec l'activité prévue par le bail. Dans ce cas la modification doit être justifiée par un impératif économique. Enfin, il existe une faculté de déspécialisation adaptée aux locataires bénéficiant d'un départ en retraite ou d'une pension d'invalidité, leur permettant de céder leur fonds de commerce à un repreneur sans que ce dernier ne soit lié par la destination du bail commercial cédé.

1. Adjoindre une activité connexe ou complémentaire : la déspécialisation partielle

Définition

Tout locataire de locaux à usage commercial dispose de la faculté d'ajouter à son fonds de commerce une activité considérée comme connexe ou complémentaire, c'est-à-dire qui présente un lien étroit avec l'activité déjà exploitée (article L. 145-47 du Code de commerce). Cette procédure est appelée déspécialisation partielle ou restreinte. Le propriétaire ne peut s'y opposer qu'en contestant devant le juge le caractère effectivement connexe ou complémentaire de la nouvelle activité.

Il n'existe pas de définition légale d'une activité connexe ou complémentaire. La jurisprudence estime par exemple que " sont connexes à une activité celles qui ont un rapport étroit avec elle et complémentaires, celles qui sont nécessaires à un meilleur exercice " (Cour d'appel de Paris, 21 avr. 1983). En cas de contestation, il revient au juge de décider au regard des usages commerciaux. Il dispose en la matière d'un très large pouvoir d'appréciation.

De façon générale on considère également qu'une activité connexe ou complémentaire est une activité qui ne nécessite pas de travaux, d'installations ou de matériel supplémentaire. La jurisprudence varie selon les activités et l'évolution des usages.

Exemples de jurisprudence :

Activité prévue au bail Activité demandée Décision Référence
Café-bar Restauration rapide et plats à emporter Cass. com., 15 janv. 1963
Boulangerie/ Pâtisserie Vente de sandwichs et de boissons Cass. 3e civ., 3 avr. 1996
Charcuterie Traiteur Cass. 3e civ., 20 déc. 2000
Droguerie Vente de produits de beaux-arts et encadrement Cass. 3e civ., 13 mai 1997, n° 95-18-044
Photocopie Vente de consommables informatiques et de supports destinés à recevoir des données informatiques CA Paris, pôle 5, ch. 3, 26 janv. 2011, nº RG : 09/15581
Discothèque Night-club / Strip-tease X CA Orléans, 5 mai 2011, n° 10/02737
Alimentation Coiffeur X CA Grenoble 13 avr. 2017, n° 15/04948
Saladerie / Sandwicherie Pizzeria X Cass. Civ 3e 19 juil. 2000
Dancing Bowling X CA Versailles, 5 mars 2009, nº 07/00883
Mode, vêtements, chaussures, articles de Paris et assimilés Vente quasi exclusive de montres X Cass. 3e civ., 16 oct. 1990, nº 89-16.185,

Comment informer le propriétaire ?

Le locataire doit notifier au propriétaire son intention d'ajouter au fonds une activité connexe ou complémentaire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, en indiquant les activités dont l'exercice est envisagé.

À compter de la réception de cette notification, le propriétaire dispose d'un délai de deux mois pour faire savoir au locataire (par lettre recommandée) s'il conteste le caractère connexe ou complémentaire de l'activité. L'absence de réponse vaut renoncement à la contestation. Le propriétaire n'a pas à justifier les motivations de sa contestation.

En cas de contestation, les parties doivent saisir le tribunal de grande instance du lieu de situation des locaux.

Remarque : La déspécialisation partielle ne donne pas lieu à une modification immédiate du loyer. En revanche le loyer pourra être réajusté lors de la première révision triennale suivant la notification de déspécialisation, afin de tenir compte d'une modification de la valeur locative.

2. Exploiter une activité sans lien avec la destination du bail : la déspécialisation plénière

Définition

Le locataire peut recourir à la procédure de déspécialisation plénière lorsqu'il souhaite exploiter dans son fonds une activité nouvelle, différente et sans lien avec celle initialement prévue par son bail commercial (article L. 145-48 du Code de commerce). La locataire peut demander :

  • d'ajouter au fonds une activité nouvelle, mais différente et sans lien avec l'activité déjà exploitée ;
  • de remplacer son activité par une activité nouvelle, différente et sans lien ;
  • d'exploiter son bail "tous commerces".

Attention : la procédure de déspécialisation plénière est fermée pendant un délai de neuf ans au " premier locataire d'un local compris dans un ensemble constituant une unité commerciale définie par un programme de construction ". La mesure vise principalement le premier locataire de locaux situés dans un centre commercial.

La demande de déspécialisation plénière doit être dictée par la conjoncture économique et l'organisation rationnelle de la distribution. Cela signifie que :

  • le locataire est dans la nécessité de changer d'activité (en raison par exemple d'une rentabilité insuffisante), et
  • le changement sera bénéfique au consommateur (par exemple l'activité n'est pas représentée dans le secteur géographique concerné).

En cas de refus du propriétaire, il appartiendra au juge de statuer sur l'intérêt économique de ce changement d'activité et de l'avantage qu'il procure aux consommateurs.

En outre, la nouvelle activité doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble. Cela signifie qu'elle ne doit pas imposer de transformation trop importante des locaux ni être la source de nuisances pour les autres locataires et commerces établis dans l'immeuble.

Comment obtenir l'autorisation du propriétaire ?

Le locataire doit envoyer au propriétaire une demande d'autorisation par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, en indiquant les activités dont l'exercice est envisagé.

Attention : une copie de la lettre de demande doit également être envoyée aux créanciers du locataire bénéficiant d'un privilège ou d'un nantissement sur le fonds de commerce. La liste des créanciers inscrits peut être consultée au tribunal de commerce du lieu de situation des locaux.

Le propriétaire dispose de trois mois à compter de la réception de la demande pour faire connaître son acceptation ou son refus (le silence valant acceptation).

Il peut aussi subordonner son autorisation à certaines conditions (réalisation de travaux, fourniture d'une caution, etc.). La loi prévoit à ce titre que le propriétaire peut demander :

  • une indemnité de déspécialisation, qui doit être justifiée par l'existence d'un préjudice (une diminution des loyers dans l'immeuble, un accroissement des charges...) ; et
  • une révision du loyer liée à une éventuelle évolution de la valeur locative.

En cas de refus, le propriétaire doit obligatoirement motiver sa décision :

  • en contestant l'intérêt économique du changement d'activité ;
  • en soulevant l'incompatibilité des activités avec l'immeuble ; ou
  • en indiquant qu'il souhaite reprendre les locaux à l'expiration de la période triennale en cours pour y réaliser des travaux.

Les parties doivent alors saisir le tribunal de grande instance du lieu de situation de l'immeuble afin qu'il se prononce sur le bien-fondé du refus.

3. La déspécialisation du bail pour départ en retraite ou invalidité

Définition

Tout locataire d'un local commercial bénéficie d'une déspécialisation simplifiée lorsqu'il souhaite céder son fonds de commerce pour cause de départ en retraite ou d'obtention d'une pension d'invalidité. Dans ce cas le locataire est autorisé à céder son bail commercial à un repreneur sans que celui-ci ne soit contraint d'exercer dans les locaux l'activité prévue par le bail cédé.

L'activité du repreneur doit toutefois être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas entraîner de nuisances, ou nécessiter de travaux trop importants. En revanche, contrairement à la procédure classique de déspécialisation plénière, il n'est pas nécessaire de justifier le changement d'activité par un motif économique ou conjoncturel.

Comment informer le propriétaire ?

Le locataire doit signifier au propriétaire son intention de céder le bail avec déspécialisation en l'informant par huissier. La signification doit indiquer la nature des activités dont l'exercice est envisagé ainsi que le prix proposé. Une signification doit également être adressée aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce.

Le propriétaire dispose alors d'un délai de deux mois pour :

  • accepter la déspécialisation (le silence vaut acceptation) ;
  • faire usage d'un droit prioritaire de rachat du bail aux conditions de prix indiquées dans la signification ; ou
  • s'opposer à la déspécialisation.

En cas de refus, le propriétaire doit justifier sa décision en soulevant l'incompatibilité des activités envisagées avec l'immeuble. En outre, le propriétaire doit obligatoirement saisir le tribunal de grande instance du lieu de situation des locaux, afin que le juge décide si le refus est justifié ou non.

Remarque : le propriétaire qui a opposé un refus injustifié au locataire pourra être condamné à lui verser des dommages et intérêts en cas de perte de l'opportunité de céder son droit au bail.


Julien Poirée

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